Chapitre 2 : Des idées nouvelles pour connecter l’Afrique
- Maël Yang-Bourguignon
- 17 janv. 2018
- 4 min de lecture

Du point de vue africain, la transformation digital n’a pas grand-chose à voir avec nos concepts européens de marketing digital, ni même de politique zéro papier. Le mot magique est en fait « Connectivité », la première brique d’un chantier de développement continental.
Échanger des produits sur tout le continent grâce aux marketplaces, travailler à distance grâce à des applications connectées, regarder les vidéos du web grâce aux plateformes de streaming… Pour beaucoup, ces usages appartiendraient à un futur africain utopique, mais pour certains, ce n’est qu’une question de temps et d'idées.
D’une part, une poignée d’ONG et d’associations locales ont pris le sujet à bras le corps en installant des relais de communications à très bas coûts, en poussant les opérateurs à mutualiser l’infrastructure et en faisant évoluer les réglementations … L’Open Cellular Workshop Conference, tenue l’an dernier à Nairobi, m’a d'ailleurs réconcilier avec Facebook par leurs contributions à de nombreux projets de connectivité, notamment en cartographiant les besoins de connexion des utilisateurs et les zones blanches, sans réseau.
D’autre part, l’Afrique trace sa propre route vers la connectivité. Voici trois tendances qui différencient l’Afrique dans son usage de la connexion au Web.
1/ Quand la consommation en data des applications n’est pas un réel sujet en Europe, elle est de la plus haute importance en Afrique.
En effet, l’échange de données via mobile est extrêmement chère. Les développeurs sur mobile ont pu réaliser, souvent à leurs dépens, que les utilisateurs pouvaient bouder des applications en raison de leurs consommations gourmandes en data, et que beaucoup utilisaient des applications spéciales qui éliminent le moindre élément trop gourmand des autres applications. Par exemple, les emails reçus ne comportent alors ni couleurs, ni liens hypertextes, ni photos…
En conséquence, les développeurs s’attachent à concevoir des systèmes qui nécessitent les échanges de données les plus petits possibles. A Addis Abeba en Ethiopie, Addiscan s’attaque au marché de l’ERP en développant un ERP très peu gourmand en données et en bande passante. D’autres tentent également d’utiliser des chatbots pour optimiser la navigation dans l’arborescence des sites internet sans avoir à ouvrir les pages et afficher les contenus inutiles.
2/ On a pas besoin d’accéder à tout Internet, juste ce qui nous intéresse.
Ne pas si méprendre, ce n’est pas parce que l’infrastructure reste très insuffisante que les gens ne sont pas devenus de fervents utilisateurs d’internet. Le réseau majoritairement en 2G, parfois en 3G, tend à saturer devant l’usage exponentiel des smartphones pour communiquer, surfer sur internet ou juste utiliser les applications mobiles. Naviguer sur une page web via un hotspot public est devenu sacrément compliqué et regarder une vidéo relève de l’exploit.
BRCK, une société développant du hardware pour la télécommunication, a une manière bien particulière pour résoudre ce problème. En utilisant des disques durs connectés, celle-ci met en cache chaque nuit les pages et les contenus les plus sollicités par les utilisateurs. Le jour, quand les utilisateurs connectés sont les plus nombreux, ils peuvent alors accéder sans problème à tous les contenus téléchargés en se connectant en Wifi. Non seulement la vitesse de téléchargement est ultra rapide, mais les vidéos peuvent aussi être en haute définition, et la bande passante n’est plus encombrée. Un des cas d’usage les plus marquants, dans le domaine de l’éducation, est de permettre à tous les écoliers d’une classe de visionner des contenus pédagogiques sur les tablettes de l’école.
3/ Il n’y a pas que les smartphones qui peuvent être smarts.
Partout dans le monde les services via mobile se multiplient et les apps font un usage immodéré de la connexion internet, du GPS, des accéléromètres, des objectifs photographiques… En Afrique pourtant, bien que les smartphones se démocratisent peu à peu, une proportion importante des téléphones restent des téléphones de base, avec clavier physique, communément appelés dumbphones. Aucun des usages précédemment cités ne sont supportés par ces téléphones, ce qui n’a pas empêché pour autant les développeurs et les entreprises à créer des systèmes permettant à ces téléphones « pas intelligents » de le devenir.
Le développement des applications USSD (voir chapitre précédent) a effectivement permis l’émergence d’un tas de nouveaux services, en outrepassant l’absence de 2G. WeFarm vient en aide aux agriculteurs kenyans en leur rapportant les réponses les plus pertinentes à leurs problèmes d’exploitation. Ils utilisent en effet des sms pour relayer les questions des agriculteurs auprès de leurs homologues locaux qui ont une réponse à apporter. Cette plateforme, genre de forum par sms, collecte au fur et à mesure les bonnes pratiques, et dispose d’une base de données étonnante sur l’état des récoltes et les impacts des actions des agriculteurs.
Fait intéressant, ces systèmes par USSD permettent de combler des vides dans tous les secteurs d’activité, ouvrant la voie par la même occasion à de nouveaux modèles économiques et expériences utilisateurs. Figurez-vous par exemple qu’au Rwanda, au composant *909# suivi de quelque chose comme 1-2-1, vous recevrez dans les 8 prochaines heures votre nouvelle pièce d’identité dans le bureau de police que vous aurez choisi. Le même procédé vous permet aussi de souscrire à des assurances vies, à un abonnement d’électricité, ou même à payer votre café.
Un bref aperçu de l’engouement tech au Rwanda
Si certains pays ont encore pas mal de chemin à faire (l’Ethiopie a notamment coupé internet dans tout le pays pendant plus d’une semaine, officiellement pour prévenir les triches aux examens nationaux…), d’autres comme le Rwanda œuvrent merveilleusement pour promouvoir le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Convaincu du potentiel transversal des technologies TIC pour transformer et moderniser tous les secteurs, le gouvernement appuie et investit massivement dans la moindre initiative Tech du pays.
A titre d’exemple, le Klab est un pré-incubateur apportant un accompagnement aux jeunes rwandais (de 7 à 18 ans) dans l’apprentissage de la programmation et le développement d’applications mobiles. L’une de ces initiatives fut de transformer Umuganda (le jour des travaux collectifs volontaires tous les derniers samedis du mois) en e-Umuganda, c’est-à-dire en utilisant le système de ramassage scolaire pour organiser des classes itinérantes d’initiation à la programmation. Et au passage, voici à quoi ressemble le nouveau billet de 500KWF !

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